Jean Vallière, mort sur le bûcher à Paris en 1523, n’est devenu « le premier martyr de la Réforme française » qu’au XXe siècle sous la plume de John Viénot, professeur à la Faculté de théologie protestante de Paris (Promenades à travers le Paris des martyrs, 191). Encore ce titre lui est-il souvent contesté…

Pourquoi ce long silence et cette méfiance ?

Le Journal d’un bourgeois de Paris sous François Ier et d’autres contemporains évoquaient pourtant, le 8 août 1523, un ermite natif de Normandie « brûlé tout vif » à Paris, au marché aux Pourceaux, après avoir fait amende honorable à Dieu et à la Vierge devant l’église Notre-Dame, car il avait blasphémé : « Il disait que notre seigneur Jésus-Christ avait été de Joseph et de Notre Dame conçu, comme nous autres humains. » Mais ces chroniques manuscrites n’ont été publiées qu’à la fin du XIXe siècle. Puis John Viénot a découvert aux Archives nationales la sentence du Parlement de Paris en date du 8 août 1523, confirmant les dires des chroniqueurs.

Ces différentes sources dessinent le profil de Jean Vallière : né vers 1485 à Acqueville, près de Falaise, il était religieux augustin (ermite de Saint-Augustin) et prêchait « ès villages autour de Paris », à Poissy, quand il fut arrêté. Accusé d’ « exécrables et détestables blasphèmes par lui dits et proférés de notre Sauveur et Rédempteur Jésus Christ et de la glorieuse Vierge Marie sa mère », il fut transféré à Paris, et emprisonné à la Conciergerie pour être jugé par le Parlement.

La Cour lui fit subir des interrogatoires, le confronta à plusieurs témoins. Vallière, excipant de sa qualité de clerc (mise en doute par la cour), récusa ses juges et demanda à être traduit devant le tribunal de l’évêque, ce qui lui fut refusé, eu égard à la gravité du cas. Au terme de l’instruction, la Cour prononça sa sentence :

« … Condamne ledit Vallière a être mené en un tombereau où l’on porte les immondices de la Ville, jusques devant l’église Notre-Dame de Paris et illec [=là] requérir merci et pardon à Dieu et à la Vierge Marie de sesdits blasphèmes, et ce fait être d’illec mené au marché aux Pourceaux et illec avoir la langue coupée et après être brulé tout vif, son habit et son corps mis en cendre. »

Ainsi, Jean Vallière a été condamné à mort par le Parlement, non pour hérésie (en principe du ressort d’un tribunal ecclésiastique), mais pour blasphème (d’où la langue coupée), concernant la Vierge. À entendre les chroniqueurs, il niait la conception virginale de Jésus-Christ. Cependant, l’un d’eux, Nicolas Versoris, avocat au parlement de Paris, a priori bien placé pour connaître le procès, ajoute que le « soi-disant ermite » avait été « induit en partie à prêcher par les livres de Luther, qu’il avait lus et regardés », livres qui ont été brûlés sur le parvis de Notre-Dame.

À l’été 1523, la chasse aux livres luthériens était lancée après une perquisition chez le chevalier Louis de Berquin, traducteur d’Érasme et de Luther ; Berquin avait été arrêté et déclaré par le Parlement « complice de l’ hérésie luthérienne », mais le 8 août le roi l’avait soustrait aux griffes du Parlement, qui se contenta de faire rafler tous les livres de Luther qu’on put trouver chez les libraires, pour un grand autodafé sur le parvis de Notre-Dame. Les chroniqueurs font un lien entre le religieux augustin brûlé le 8 août, la contestation de la Vierge, et Berquin, qui a échappé au Parlement.

Face à l’hérésie luthérienne, répandue par des non-théo- théologiens, le Parlement devait faire un exemple et terroriser Berquin.

En brûlant les actes du procès et en faisant courir le bruit d’un blasphème énorme proféré par « un pauvre homme ignorant » (dixit Versoris), le Parlement a tout fait aussi pour étouffer l’affaire et la mémoire de l’hérétique.

Raison de plus de garder la mémoire de celui qui fut le premier supplicié en France pour avoir prêché l’Évangile au souffle de Luther.

Par Marianne Carbonnier-Burkard maître de conférences honoraire à l’IPT-Faculté de Paris