Les publics francophones ont progressivement pris l’habitude, depuis vingt-cinq ans, de voir à l’affiche des publicités pour des concerts Gospel. En région parisienne, par exemple, un véritable « mercato » de chorales, solistes, ensembles Gospel s’est construit à partir des demandes culturelles des publics franciliens, ouvrant les portes des auditoriums municipaux, des églises catholiques, des salles de spectacle…. et jusqu’au Zénith(1)  ou au Palais Omnisport de Bercy(2) .

Popularité de la musique Gospel

En île-de-France, cette offre de musique Gospel souvent francophone, ou en partie francophone, s’appuie sur une base sociale alimentée en priorité par les Eglises protestantes, en majorité évangéliques. Mais le sait-on ? Il y a fort à parier que pour une majorité du public, les chorales Gospel ne renvoient pas nécessairement au protestantisme. « Et c’est tant mieux », diront les chantres et promoteurs de ces concerts. Car le but n’est pas d’afficher une identité particulière, mais d’exprimer, au travers d’un ancrage singulier, des valeurs universelles. Transitives. Il reste qu’il n’est sans signification d’observer la popularité d’une production culturelle ancrée dans le référentiel chrétien et protestant. On peut sans doute y voir un témoignage, parmi d’autres, d’un certain « retour du religieux dans la sphère publique »(3) analysé par Jean-Paul Willaime.

Avec la musique Gospel, ce « retour » s’exprime au travers d’une offre culturelle festive et non prosélyte. Dans l’espace francilien, aux yeux du grand public, la musique Gospel, nourrie d’hybridations puisées dans le vaste terreau francophone, est devenue au protestantisme ce que le Zen est au bouddhisme, ou la musique Soufi à l’islam : un vecteur interculturel doux, sans démarchage conversionniste. Oui, il initie à un univers spirituel et culturel, mais sans matraquage. C’est via l’esthétique et la détente que l’ouverture se produit.

Un « médiateur sensible » non prosélyte

Les paroles des chants interprétés ont un contenu manifestement religieux, marqué par l’identité afro-évangélique forgée au creuset de l’esclavage et des luttes pour l’émancipation. Mais le grand public ne les perçoit pas forcément sur ce mode. C’est principalement sous l’angle de la découverte culturelle que le Gospel s’écoute, à guichet fermé, dans bien des salles franciliennes. En revanche, quand ils se produisent dans des Églises évangéliques ou d’autres paroisses protestantes ou catholiques, les groupes Gospel affichent plus explicitement leur ancrage chrétien. La prestation musicale est parfois accompagnée parfois d’une exhortation complémentaire où l’offre de salut est proposée. Mais on se situe moins dans le prosélytisme ouvert que dans une logique de témoignage. L’objectif est bien d’afficher une différence chrétienne, mais par le biais d’un événement musical où le coeur de l’expérience est la réception d’une musique, que l’on soit croyant ou pas. Le mécréant comme le chrétien pieux écoutent la musique Gospel, « médiateur sensible » entre intériorité et extériorité.

(1) Exemple : le Gospel Festival de Paris avec Kirk Franklin, Yolanda Adams et Total Praise Mass Choir (chorale franco-africaine) au Zénith de Paris, le 27 octobre 2013.
(2) Exemple : Gospel pour 100 Voix World Tour 2013, qui se produit au Palais Omnisport de Bercy le 13 avril 2013.
(3) Jean-Paul Willaime, Le retour du religieux dans la sphère publique, Paris, ed. Olivétan, 2008.