Un ancrage qui remonte aux années 1970, dans le contexte troublé de la seconde Guerre du Vietnam. L’anthropologue Bernard Boutter, auteur d’une contribution à l’ouvrage collectif La nouvelle France protestante, fait observer que « les années 1970-1980 sont marquées par d’importants changement concernant la question migratoire en France ». Du point de vue de l’immigration asiatique, des dizaines de milliers de « boat people » affluent vers l’Europe, et la France en particulier, fuyant les persécutions des régimes communistes. Au début des années 1980, on assiste « à l’émergence d’assemblées indépendantes, évangéliques notamment, rassemblant des fidèles chinois, vietnamiens, cambodgiens, laotiens (laos et surtout hmongs), tamouls, cinghalais, haïtiens ou originaires de divers pays d’Afrique subsaharienne, surtout d’Afrique centrale. Cette prolifération de communautés croyantes issues de diasporas a été favorisée à l’époque par la possibilité accordée en 1981 aux étrangers, grâce au gouvernement socialiste nouvellement élu, de créer des associations en les déclarant officiellement, sans autorisation préfectorale préalable »(1).L’AECM : un réseau d’accueil privilégié en France pour les Vietnamiens

Lorsqu’il est protestant, ce développement de communautés croyantes vietnamiennes, dans le contexte d’une immigration traumatique, s’inscrit quasi exclusivement au sein du protestantisme de type évangélique. Mais il faut rappeler que la grande majorité des migrants vietnamiens en France restent bouddhistes ! D’autres, plus nombreux que les protestants, sont catholiques. Côté protestant, c’est au sein de l’AECM, l’Alliance des Églises Chrétiennes Missionnaires de France, que l’on rencontre dans l’hexagone le plus d’Églises évangéliques sud-est asiatiques, vietnamiennes en majorité: entre la métropole et la Guyane, on compte une dizaine de communautés AECM de ce type, chinoises, vietnamiennes, Hmongs, ethnie dont le peuplement s’étend entre le Vietnam et le Laos.Parmi ces Églises, l’église vietnamienne de l’Aube, basée à Troyes, rassemble une cinquantaine de fidèles. La francophonie protestante vécue y est relative, car les cultes sont pour l’essentiel en vietnamien. L’une des grandes préoccupations des responsables est en effet de maintenir et transmettre la culture et la langue vietnamienne, au sein d’un périmètre spirituel chrétien de type protestant et évangélique en diaspora. Les fidèles, qui continuent à célébrer la fête du Têt, utilisent cependant aussi la langue française, et la seconde, voire troisième génération installée en France recourt majoritairement à la langue de Molière et de Calvin.

Interrogé par le quotidien L’Est Éclair, le pasteur de cette communauté souligne : «Nous sommes un des courants du protestantisme et nous sommes membre de la Fédération évangélique de France. Notre Église existe depuis cent ans », commente-t-il en 2008. « Chaque courant met en avant une vérité biblique. Nous sommes pour notre part des chrétiens du Vietnam. Notre action est fondée sur celle d’un missionnaire français, Daniel Bordreuil, parti au Vietnam dans les années 1950 et revenu en France en 1962. Il a rassemblé des étudiants à Paris, puis il a fondé une Église. C’est la seule Église vietnamienne créée avant 1975, avant la fin de la guerre »(2). Ces explications du pasteur Aï Hoang renvoient au rôle pionnier effectivement joué par le pasteur protestant évangélique français Daniel Bordreuil (1929-2013).

Une douzaine d’assemblées franco-vietnamiennes ?

Avec son épouse Pemmy, ce dernier est resté comme missionnaire au Vietnam de 1957 à 1962, à Phan-Thiet, avec la mission CMA. Il s’est ensuite relocalisé en France, où il s’attacha, jusqu’aux années 2000, à cultiver les liens avec la péninsule indochinoise. C’est à l’initiative de ce pasteur « trait d’union » que l’on doit la création d’une première église protestante vietnamienne sur sol français, à partir d’une communauté d’étudiants, au début des années 1970. D’autres ont suivi, majoritairement insérées au sein de l’AECM. Sur la base de l’engagement constant du pasteur Daniel Bordreuil, l’AECM s’est imposée, jusqu’au début du XXIe siècle, comme le réseau d’accueil privilégié des Vietnamiens évangéliques en France.

Mais d’autres réseaux protestants évangéliques ont parfois accueilli des Églises franco-vietnamiennes, notamment parmi les baptistes, à l’image des Églises baptistes franco-vietnamiennes d’Évry et de Torcy, rattachée à l’AEEBLF. Combien d’assemblées franco-vietnamiennes aujourd’hui ? Aucun relevé exhaustif n’est pour l’instant disponible. On l’estimera à une douzaine de communautés très majoritairement vietnamiennes, recourant à la fois à la langue vietnamienne et au français. Un montant que l’on peut largement réévaluer si l’on élargit au Sud-Est asiatique (Laos, Cambodge…).

Moins institutionnalisé et centralisé que ce que l’on observe au travers de l’Union des Églises Évangéliques Lao (Laotienne), très minoritaire, ce protestantisme franco-vietnamien présent dans l’hexagone connaît une phase d’organisation croissante. Il tient depuis quelques années une « assemblée générale des Eglises évangéliques vietnamiennes de France », comme celle qui se tiendra entre les 11 et 14 juillet 2015 à Pierrefonds (Oise). Il reste encore à découvrir, et à étudier. De la même manière, l’histoire méconnue de la mission Eurasia demeure à faire. Il serait possible de l’exhumer en détail grâce à des archives abondantes, et accessibles. Avis aux amateurs !

(1) Bernard Boutter, « Le protestantisme en France, un terreau d’accueil privilégié pour les migrants ? », in S.Fath et JP.Willaime (dir.), La nouvelle France protestante, Genève, Labor et Fides, 2011, p 300 à 313.
(2) Pasteur Aï Hoang, « Dix Églises évangéliques recensées dans l’Aube », L’Est Eclair, 2 décembre 2008.