Si les miracles décrits dans la Bible peuvent être pour les non-croyants une insulte à la raison, ils sont loin de faire l’unanimité chez les croyants qui se trouvent parfois embarrassés devant cet héritage.Poser la question de la réalité des miracles en attendant une réponse qui ne soit qu’une confirmation ou une infirmation, une réponse qui convainque le croyant et le non croyant, relève de l’utopie. La tradition protestante a très tôt remis en question une conception du miracle comme preuve de la seigneurie du Christ. Ainsi Lessing, figure de la critique théologique, écrit-il en 1777 : « Je ne nie donc point qu’en Christ, des prophéties se soient réalisées, je ne nie point que le Christ ait accompli des miracles. Mais je nie que ces miracles, depuis que leur vérité a cessé d’être prouvée par des miracles encore actuellement en cours, depuis que ce ne sont plus que des communications de miracles (aussi incontestées et incontestables soient-elles), doivent et puissent m’obliger à la foi, même la plus minime, aux autres enseignements du Christ. »

En osant une critique du protestantisme orthodoxe de son époque, Lessing nous montre comment un débat théologique – considéré alors comme destructeur – s’avère en fait fécond : puisque les miracles ne servent pas à convaincre celui qui n’a pas la foi, c’est donc que leur intérêt réside ailleurs.

Du miracle au signe

En fait, l’évangéliste Jean, déjà, nous entraîne sur cette voie en utilisant le terme de « signes » pour évoquer les miracles de Jésus : en distinguant le signifiant du signifié, l’auteur veut montrer au lecteur que le sens du signe est à chercher au-delà du sens littéral.

Entre une compréhension du récit comme chronique historique et le refus de voir dans ce récit autre chose, au mieux, qu’une objectivation de la foi et au pire une imposture, se dessine une autre voie : celle d’y lire une invitation de plus de la part de Dieu.

Le Dieu de la Bible est un Dieu de la rencontre et de l’événement : un Dieu qui advient en permanence dans la vie de celui qui l’accepte et le confesse. Le récit de miracle n’est pas la pointe de cette rencontre, mais le doigt qui indique au lecteur ce qu’il est appelé à interpréter pour avancer dans cette rencontre avec Dieu. Ainsi la bonne question n’est plus de savoir si les miracles existent mais en quoi ces récits qui me sont proposés entrent en résonance avec ce que je vis en ce moment. Pour pouvoir y répondre, encore faut-il accepter de les lire, de les relire, de les situer pour pouvoir se situer par rapport à eux… de prendre le temps.

L’importance de l’interprétation

Certains ne voient dans ces récits que des mythes ; qu’ils se souviennent que si le mythe prétend narrer les origines et les expliquer, jamais il n’a la prétention de se transformer en vérité. Sa légitimité lui vient par essence de son décalage, même minime, par rapport à une réalité qu’il veut justement nous aider à mieux appréhender en ne demandant qu’à être interprété.

Cette importance de l’interprétation sur laquelle le mouvement de la Réforme a insisté depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui – de Jean Calvin à Paul Ricoeur – n’est pas l’apanage de spécialistes mais traduit le vœu que chacun puisse se saisir du texte biblique pour y trouver une Parole qui lui est adressée.

Ainsi entre la position de celui qui refuse en bloc les récits de miracles au nom de leur « incohérence scientifique » et celui qui, comme le patriarche Athénagoras, peut s’exclamer : « Pour celui qui sait regarder, tout est miracle : la Résurrection, c’est le commencement de la transfiguration de la terre », il existe un espace à habiter. Une infinité de lieux sur lesquels il est possible de se situer de manière personnelle et donc, en protestantisme, légitime.